La rédaction s’est récemment envolée pour le Qatar le temps d’un court séjour. Regard sur une destination hors du commun.
Bien que quelque peu plus modeste que Dubaï, son éternelle rivale, Doha est une métropole où les superlatifs ne manquent pas. Gratte-ciels, hôtels de luxe et îles artificielles s’y réunissent, faisant de la capitale du Qatar une destination aussi luxueuse que traditionnelle. Car tout y est effectivement contraste. Coutumes dansent avec modernité, tendances se marient avec abayas et ghutras. Entre gratte-ciels et souks, entre tentes bédouines et îles privatives, s’entremêlent Qataries et expatriés, qui représentent à eux seuls plus de 85 % de la population du Qatar.
Une histoire tumultueuse
« L’histoire du Qatar est dense », s’exclama Siham, guide touristique, alors que nous déambulions dans le musée national du Qatar. Conçu par Jean Nouvel, architecte français de renom, ce musée — dont l’ouverture remonte à 2008 — abrite aujourd’hui 11 galeries, toutes racontant différents moments de la longue histoire du Qatar. Sa conception évoque non seulement la rose des sables, emblème du désert si étroitement lié au passé de la péninsule, mais également la modernité et l’audace venues perturber ce qui semblait à jamais imperturbable. Car trois « miracles économiques » ont bouleversé la vie des Qataris. La pêche de perles, le pétrole et, plus récemment, le gaz.
Il y a à peine 200 ans, les Qataris vivaient encore de la pêche de perles. Sans bouteille de plongée ni compresseur, les pêcheurs plongeaient et restaient sous l’eau jusqu’à parfois six minutes afin de récupérer un maximum d’huîtres, dans l’espoir d’y cueillir des perles, joyaux servant de monnaie d’échange. Non pas sans danger, cette pratique archaïque fut révolue lorsque Kokichi Mikimoto découvrit la culture des perles, laissant le Qatar dans la pauvreté. La ville côtière fortifiée Al Zubarah, centre florissant de commerce des perles, fut ainsi détruite et abandonnée en 1811, pour être nommée Centre du patrimoine mondial UNESCO en 2013.
Après un siècle difficile, sous le signe de famines et de pandémies, vinrent ce que l’on associe aujourd’hui au Qatar : le pétrole et le gaz. Depuis leur avènement, Doha est en croissance constante. De nouveaux établissements sont créés chaque jour. « Peu avant que ne ferment les frontières du Qatar en 2020, je suis retourné au Sri Lanka afin d’être avec ma famille en ces temps difficiles. À mon retour, un peu plus d’un an et demi plus tard, je ne reconnaissais plus la ville », me confia Siham alors que nous passions devant un édifice récemment démantelé. « Wow ! Ce bâtiment était encore intact hier », s’exclama-t-il soudainement. J’appris alors qu’au Qatar, dès lors qu’un édifice a plus de dix ou quinze ans, il est mis en pièce pour que soit construit un immeuble plus moderne.
Une métropole en constante mouvance
Depuis quelques années, le Qatar est passé à la vitesse supérieure et investit des milliards de dollars dans la construction de nouvelles routes, de nouveaux hôtels et de nouvelles attractions. « La ville ne ressemble plus du tout à ce qu’elle ressemblait lorsque je suis arrivé au Qatar il y a 15 ans, me dit Siham. À l’époque, Doha était la ville la plus ennuyeuse du monde ! » Mais ce rythme effréné ne se sera malheureusement pas tenu sans atteintes aux droits des travailleurs, comme l’a récemment décrié Humans Right Watch.
Aujourd’hui, ce ne sont pas les attractions qui manquent. Safaris dans le désert, visites de musée, tours de bateaux traditionnels, shopping dans les souks. On peut facilement rester une semaine au Qatar sans s’ennuyer. « Lorsque j’ai commencé à faire des tours guidés, j’en avais pour 4 heures. Maintenant, 8 heures ne suffisent même pas pour montrer ne serait-ce qu’une fraction du Qatar », détailla Siham alors que l’on sillonnait les rues de la Education City, quartier fondé en 1996 pour offrir un meilleur système d’éducation aux citoyens et qui abrite aujourd’hui universités, bibliothèques, hôpitaux et centres de conférence.
Nous y avons passé un avant-midi à explorer les différentes institutions, dont l’architecture semble provenir d’un tout autre univers. Bien que les architectes à l’origine de ces monuments soient originaires d’endroits aussi variés que le Japon, le Mexique et les Pays-Bas, leurs édifices cachent, parmi les lourdes pierres calcaires et les fenêtres étincelantes, de subtiles références à l’architecture et à la culture islamiques traditionnelles.
Des coutumes bien ancrées
Malgré les investissements dans la construction de nouvelles infrastructures touristiques, Doha ne tente pas de détrôner Dubaï. « Le plus important pour le Qatar n’est pas d’avoir la plus haute tour au monde, mais plutôt de bâtir des édifices représentant la riche culture qatarie », m’expliqua Maria, directrice marketing de Qatar Tourism, alors que nous buvions un café arabe dans un Majlis, salon traditionnel où se réunissent Qataris pour discuter.
Et il est vrai que le Qatar reste une petite péninsule aux coutumes bien ancrées. Tous les monuments rappellent un élément de la culture qatarie, ne serait-ce qu’en représentant une tête de faucon, fidèle emblème de l’histoire du pays, ou en utilisant différents motifs traditionnels, tels que le moucharabieh, cloison ajourée que l’on retrouve souvent dans l’architecture classique des pays arabes. Mais il n’y a pas que dans l’architecture que l’on arrive à saisir des brides de la culture qatarie. Faisant figure d’anachronisme, le Souq Waqif — marché traditionnel aux ruelles sinueuses situé sur les rives du Wadi Musheireb — contraste avec le spectaculaire paysage urbain de Doha. Et il abrite plusieurs petits trésors cachés évoquant le passé, dont un marché aux faucons, l’oiseau national du Qatar.
« Bienvenue ! », nous dit Habib, lorsque nous entrâmes à Birds Center, un lieu inusité où une vingtaine de faucons, attachés à des poutres, huissent bruyamment. Revêtu d’une longue robe blanche de coton ainsi que de la ghutra, couvre-chef traditionnel, il nous accueillit avec le sourire, faucon au bras. Pour 30 000 riyals qataris, soit plus de 8 000 euros, Qataris (et touristes !) peuvent s’y procurer un faucon de compagnie. « Le faucon est pour les Qataris ce qu’est le chien pour les Européens, nous expliqua-t-il. Il fait en quelque sorte partie de la famille. » Bien qu’initialement dubitative, je ne pus que me résoudre à l’idée lorsque j’aperçus l’hôpital pour faucons de l’autre côté de la rue. Les oiseaux de proie peuvent y être médicamentés, soignés et… emplumés.
Plus qu’un musée à ciel ouvert
Le Qatar est bien plus qu’un musée à ciel ouvert. Championnat du monde de handball en 2015, Championnat du monde d’athlétisme en 2019, Coupe du monde en 2022… Ce petit pays tente, de par la tenue de nombreuses compétitions, de se positionner comme la première destination au monde pour le tourisme sportif et d’aventure. Alors que la capitale offre le cadre idéal pour une opulente escapade, le désert est le lieu tout désigné pour vivre une aventure périlleuse.
Les amateurs de grands espaces se régaleront notamment d’une escapade de quelques heures dans les dunes sablonneuses, pendant laquelle on peut contempler le soleil se lever sur Khor al Adaid, là où les dunes du désert se déversent dans une mer intérieure qui fait guise de frontière naturelle entre le Qatar et l’Arabie saoudite. « Il n’y a pas de plus beau décor », s’écria Siham, alors que nous parcourions les dunes au soleil levant à bord de sa Land Cruiser. Et je ne pus qu’acquiescer, car le panorama qui se dressait devant nous était incontestablement saisissant. Nous arrivâmes face à un lac qui, lorsque la saison le veut, accueille des milliers de flamants roses. Mais ce jour-là, tout n’était que quiétude. Il n’y avait que deux autres voyageuses, accompagnées d’un guide. Le décor était à l’image de cette péninsule arabique… Tout en contraste. Le sable détonnait avec le bleu profond de la mer et celui un peu plus clair du ciel, alors que l’écho de la radio du Land Cruiser résonnait avec l’étonnant silence. Le vacarme de Doha était bien loin.
Le Qatar, en bref
À quoi ressemblera Doha dans quelques années ? La tendance semble claire : à rien de ce à quoi elle ressemble aujourd’hui. Car on y construit aussi rapidement que l’on y déconstruit. Au caractère oscillant, Doha est l’une de ces métropoles qu’il est difficile de saisir. Les coutumes subsistent, certes, mais tout le reste n’est que mouvance.